La réforme de la formation des enseignants fait actuellement l’objet de débats nourris. Parmi tous les problèmes évoqués, celui de la nature des épreuves des futurs concours inquiète fortement. Le formatage de tous les concours sur un modèle commun, s’il peut satisfaire des préoccupations technocratiques, fait fi des spécificités des disciplines et de leur culture propre. Nous reproduisons ci-dessous une lettre ouverte de la Société Française d’Histoire du Sport, qui s’inquiète à juste titre de la potentielle remise en cause de la première épreuve d’admissibilité du CAPEPS, qui visait à évaluer la capacité des candidats à développer une analyse socio-historique, philosophique et épistémologique, de leur discipline et du système éducatif.
CAPEPS en danger ?
Motion pour la défense de la dissertation portant sur les fondements sociohistoriques et épistémologiques de l’EPS et des APSA
À l’heure où la Direction générale des ressources humaines (DGRH) s’apprête à faire des choix importants quant à la nature des épreuves du concours du CAPEPS, dans la foulée des récents textes publiés sur la formation des enseignant·es, la communauté des historien·nes de l’éducation physique et sportive, maîtresses et maîtres de conférences, professeur·es des universités, ancien·nes enseignant·es d’EPS pour la plupart et souvent formateurs/trices aux concours de recrutement et membres des jurys, s’inquiètent de la tournure des événements.
Les préconisations de la réforme actuellement à l’étude, sans réelle concertation avec les acteurs/trices de la formation, prévoient une réorientation de la première épreuve d’admissibilité pour le concours qui aggraverait le recul de la place des connaissances socio-historiques, des questionnements philosophiques et épistémologiques, des possibilités de développer la réflexion sur l’EPS, son enseignement et sur des notions aussi importantes que l’éducation, le corps, la culture… ou encore le sport. Rappelons que cette épreuve existe depuis 1933 et qu’elle a fait la preuve de son utilité concernant la formation d’un enseignant lucide, cultivé et autonome. L’incantation rituelle au « professionnel » ainsi que l’instrumentalisation de la pédagogie considérée comme un ensemble de recettes techniques transmises par la hiérarchie et qu’il suffirait d’appliquer, serviraient ici de justifications. La communauté s’en étonne d’autant plus que le texte de cadrage (Arrêté du 28 mai 2019) prévoit que les enseignements de master MEEF portent, notamment, sur une réflexion épistémologique, sur la compréhension de la construction de la didactique de la discipline, ainsi qu’une connaissance éclairée des problématiques éducatives.
La Société française d’histoire du sport avait déjà mobilisé la communauté des chercheurs et formateurs sur ce point l’année dernière pour recueillir son sentiment et faire un bilan sur la place et le rôle de la première épreuve d’admissibilité du CAPEPS (dite « écrit 1 »), un écrit « disciplinaire et épistémologique », par rapport à la seconde épreuve d’admissibilité (dite « écrit 2 ») « professionnelle », pour en montrer leur juste et parfaite complémentarité dans la formation d’un·e enseignant·e d’EPS et, a fortiori, dans les concours de recrutement. Rappelons que l’intitulé actuel de l’épreuve d’écrit 1 est le suivant : « Les éducations corporelles dans le cadre scolaire depuis 1936 : enjeux de société et débats au sein de l’EPS ».
La spécificité de l’écrit sociohistorique et épistémologique, par rapport à l’écrit de mise en contexte de l’enseignement, dans sa singularité et sa complémentarité, possède plusieurs mérites et avantages :
- d’une part, c’est d’abord un écrit de culture générale qui permet d’associer différentes sciences humaines et sociales pour expliciter les processus de structuration d’une discipline scolaire tout en validant la maîtrise de la langue française ;
- d’autre part, c’est un écrit académique avant d’être un écrit professionnel, autrement dit, une épreuve « dissertative » (et non une « étude de cas » comme celle de l’écrit de mise en contexte de l’enseignement), qui permet d’exercer un recul critique et distancié par le croisement des sources scientifiques, des faits historiques et des acteurs/trices, des théories et courants de pensée, afin non pas de concevoir un sens de l’histoire, mais de comprendre en diachronie et en synchronie les évolutions de cette discipline scolaire ;
- enfin, c’est un écrit disciplinaire et épistémologique qui demande une réflexion de fond sur l’évolution du métier envisagé par le candidat, permettant précisément aux futur·es enseignant·es de donner du sens à leur action, de saisir les évolutions des programmes, celles de la société et des pratiques sociales de référence, des réformes scolaires, de réinterroger sans cesse les pratiques dites « traditionnelles » comme celles plus « innovantes » et de se positionner en acteurs/trices critiques et averti·es capables de faire des choix sur les modalités d’évaluation, des contenus d’enseignement et des stratégies pédagogiques… Ainsi, l’approche de l’écrit sociohistorique et épistémologique permet d’assurer le lien entre l’École et la société, entre le corps et les pratiques sociales de référence, entre les finalités de l’éducation et le choix des moyens mis en œuvre pour les atteindre.
Une enquête a été lancée en novembre 2018 auprès de la communauté des formateurs/trices pour faire un état des lieux sur l’intérêt de l’épreuve d’ « écrit 1 » dans les concours de recrutement (et plus généralement de l’histoire dans le cursus de formation en STAPS) par rapport à l’ « écrit 2 ». L’analyse des retours des collègues a permis de faire ressortir un certain nombre de compétences spécifiques formalisées ci-dessous dans le tableau des compétences complémentaires entre les deux épreuves écrites :
Si la première épreuve d’admissibilité était vouée à changer de nature, ce serait une véritable régression intellectuelle qui tirerait un trait sur tout ce que le souci de réflexivité a apporté à notre discipline et à ses enseignant·es depuis la fin du XIXe siècle. Serait-ce une nouvelle étape dans la déqualification du métier d’enseignant·e ? En effet, comment alors développer les « capacités de raisonnement et (l’) esprit critique » de l’élève comme il est écrit dans les programmes d’enseignement commun et d’enseignement optionnel d’éducation physique et sportive pour la classe de seconde générale et technologique et pour les classes de première et terminale des voies générale et technologique de 2019 si l’enseignant·e n’a pas lui/elle-même développé cette qualification ? Les conséquences seraient catastrophiques pour le domaine des STAPS en général et pour la formation universitaire des enseignant·es d’EPS en particulier. Quatre raisons principales peuvent être mises en exergue :
- une perte irrémédiable d’un héritage culturel construit en partie par la profession depuis plus d’un siècle dans la formation des étudiant·es et des enseignant·es d’EPS, nécessaire à la compréhension de leur discipline sur le plan historique et épistémologique ;
- une erreur stratégique qui décrédibiliserait le caractère « académique » de ce concours de recrutement en affaiblissant la culture générale, la maîtrise de la langue française et surtout la capacité réflexive dans la formation et la préparation des étudiant·es – de ce point de vue, il convient de souligner que ces contenus de formation ont aussi une dimension « professionnelle » en permettant aux futurs enseignants de situer leur action pédagogique et leurs modalités d’intervention dans un dispositif d’enseignement en constante évolution ;
- une désorganisation totale et historique du cursus de formation en STAPS consécutive à une perte rapide et importante des enseignements d’histoire dans les maquettes – ce qui placerait à court terme des collègues en difficulté et conduirait à la suppression pure et simple de postes en STAPS et en INSPE sur l’histoire du sport, du corps et de l’éducation physique (alors même que notre pays est un leader mondial dans le domaine) ;
- La fragilisation à moyen terme de l’éducation physique et sportive scolaire comme objet de recherche au sein des laboratoires SHS des STAPS, alors que ceux qui accueillent des travaux en histoire et en sociologie des activités physiques constituent des ressources pour les composantes et le corps d’inspection.
Au regard du volume déjà important accordé à la dimension professionnelle envisagée sous l’angle de l’analyse des interactions pédagogiques dans les projections actuelles (deuxième épreuve d’admissibilité et première épreuve d’admission), au regard des compétences réflexives développées par les formateurs/trices sur l’enseignement des fondements sociohistoriques et épistémologiques, tant du point de vue des dispositifs éducatifs que des modalités d’intervention en EPS, au regard de l’engagement collectif de notre communauté à poursuivre un travail de qualité pour former des enseignant·es éclairé·es et efficaces (« des citoyen·nes lucides, autonomes et responsables »), nous souhaitons attirer votre attention sur l’importance du choix des contenus des épreuves d’admissibilité, et sur les conséquences néfastes que pourrait avoir la transformation de l’écrit sociohistorique et épistémologique qui, en plus de rompre définitivement certains équilibres fragiles, irait à l’encontre de la formation et de l’expression démocratique de notre communauté.
Les membres du CA
Société Française d’Histoire du Sport